Retropost (2007): La crítica autobiográfica
Acabo de localizar la publicación en Project Gutenberg (2006) de uno de mis textos críticos favoritos, el prólogo-dedicatoria a La Vie littéraire (primera serie, 1888) de Anatole Fance. Y de La Vie littéraire completa, de hecho. Me gusta especialmente el fragmento donde expone la subjetividad irremediable de todo lo que vemos o decimos, en la literatura o en la vida. Toda literatura, y toda crítica, es una autobiografía oculta para quien la sabe leer, pues es la expresión y síntoma de la mente que narra o que juzga.
Aquí va el original francés del prólogo, y sigue la traducción.
(PARIS: CALMANN-LÉVY, 1888)
À MONSIEUR ADRIEN HÉBRARD, SÉNATEUR, DIRECTEUR DU TEMPS
Cher monsieur,
Permettez-moi de vous offrir ce petit livre; je vous le dois bien, car
assurément il n’existerait pas sans vous. Je ne songeais guère à faire
de la critique dans un journal quand vous m’avez appelé au Temps. J’ai
été étonné de votre choix et j’en demeure encore surpris. Comment un
esprit alerte, agissant, répandu comme le vôtre, en communion constante
avec tout et avec tous, si fort en possession de la vie et toujours jeté
au milieu des choses, a-t-il pu prendre en gré une pensée recueillie,
lente et solitaire comme la mienne?
Mais rien ne vous est étranger, pas même la méditation. Ceux qui vous
connaissent intimement assurent qu’il y a en vous du rêveur. Ils ne se
trompent pas. Seulement Vous rêvez très vite. En toutes choses vous
possédez au plus haut degré le génie de la promptitude. La facilité avec
laquelle vous pensez est prodigieuse. Vous comprenez tout à la fois.
Votre conversation, rapide et brillante comme la lumière, m’éblouit
toujours. Pourtant elle est toujours raisonnable. Éblouir avec la
raison, cela n’a été donné qu’à vous. Quel écrivain vous feriez, si vous
aviez moins d’idées! Une magicienne russe, qui a longtemps vécu dans
l’Inde, parle dans ses écrits d’un procédé qu’emploient les sages indous
pour communiquer leur pensée aux profanes. À mesure qu’elle se forme en
eux-mêmes, ils la précipitent dans le cerveau d’un saint homme qui
l’écrit à loisir. Voilà un procédé qui vous conviendrait! Quel dommage
que notre barbare Occident ignore encore la «précipitation» de la
pensée! Mais je vous connais: si un saint homme se mettait à rédiger vos
idées précipitées, vous iriez tout de suite le prier de n’en rien faire.
Vous aimez à rester inédit. Homme public, vous avez horreur de paraître:
c’est une de vos originalités, et non pas la moins charmante.
Je crois que vous avez un talisman. Vous faites ce que vous voulez. Vous
avez fait de moi un écrivain périodique et régulier. Vous avez triomphé
de ma paresse. Vous avez utilisé mes songeries et monnayé mon esprit.
C’est pourquoi je vous tiens pour un incomparable économiste. M’avoir
rendu productif, je vous assure que c’est merveilleux. Mon excellent ami
Calmann Lévy lui-même n’avait pas réussi à me faire écrire un seul livre
depuis six ans.
Vous avez un très bon caractère et vous êtes très facile à vivre. Vous
ne me faites jamais de reproches. Je n’en tire pas vanité. Vous avez
compris tout de suite que je n’étais pas bon à grand’chose et qu’il
valait mieux ne pas me tourmenter. Sans me flatter, c’est la principale
cause de la liberté que vous me laissez dans votre journal. Vous me
savez incorrigible et vous désespérez de m’amender. Un jour, n’avez-vous
pas dit de moi à un de nos amis communs:
--C’est un bénédictin narquois.
On se connaît mal soi-même, mais je crois que la définition est bonne.
Je me fais assez l’effet d’un moine philosophe. J’appartiens de coeur à
une abbaye de Thélème, dont la règle est douce et l’obédience facile.
Peut-être n’y a-t-on pas beaucoup de foi, mais assurément on y est très
pieux.
L’indulgence, la tolérance, le respect de soi et des autres sont des
saints qu’on y chôme toujours. Si l’on y incline au doute, il faut
considérer que le pyrrhonisme ne va pas sans un profond attachement à la
coutume et à l’usage. Or, la coutume du plus grand nombre, c’est
proprement la morale. Il n’y a qu’un sceptique pour être toujours moral
et bon citoyen. Un sceptique ne se révolte jamais contre les lois, car
il n’a pas espéré qu’on pût en faire de bonnes. Il sait qu’il faut
beaucoup pardonner à la République. Pourtant voulez-vous un conseil? Ne
confiez jamais le bulletin politique du Temps à un de nos thélémites.
Il y répandrait une mélancolie douce qui découragerait vos honnêtes
lecteurs. Ce n’est pas avec la philosophie qu’on soutient les
ministères. Quant à moi, je garde une modestie qui me sied, et je m’en
tiens à la critique.
Telle que je l’entends et que vous me la laissez faire, la critique est,
comme la philosophie et l’histoire, une espèce de roman à l’usage des
esprits avisés et curieux, et tout roman, à le bien prendre, est une
autobiographie. Le bon critique est celui qui raconte les aventures de
son âme au milieu des chefs-d’oeuvre.
Il n’y a pas plus de critique objective qu’il n’y a d’art objectif, et
tous ceux qui se flattent de mettre autre chose qu’eux-mêmes dans leur
oeuvre sont dupes de la plus fallacieuse illusion. La vérité est qu’on ne
sort jamais de soi-même. C’est une de nos plus grandes misères. Que ne
donnerions-nous pas pour voir pendant une minute, le ciel et la terre
avec l’oeil à facettes d’une mouche, ou pour comprendre la nature avec le
cerveau rude et simple d’un orang-outang? Mais cela nous est bien
défendu. Nous ne pouvons pas, ainsi que Tirésias, être homme et nous
souvenir d’avoir été femme. Nous sommes enfermés dans notre personne
comme dans une prison perpétuelle. Ce que nous avons de mieux à faire,
ce me semble, c’est de reconnaître de bonne grâce cette affreuse
condition et d’avouer que nous parlons de nous-mêmes chaque fois que
nous n’avons pas la force de nous taire.
Pour être franc, le critique devrait dire:
--Messieurs, je vais parler de moi à propos de Shakespeare, à propos de
Racine, ou de Pascal, ou de Goethe. C’est une assez belle occasion.
J’ai eu l’honneur de connaître M. Cuvillier-Fleury, qui était un vieux
critique fort convaincu. Un jour, que je l’allai voir dans sa petite
maison de l’avenue Raphaël, il me montra la modeste bibliothèque dont il
était fier:
--Monsieur, me dit-il, éloquence, belles-lettres, philosophie, histoire,
tous les genres y sont représentés, sans compter la critique qui
embrasse tous les autres genres. Oui, monsieur, le critique est tour à
tour orateur, philosophe, historien.
M. Cuvillier-Fleury avait raison. Le critique est tout cela, ou du moins
il peut l’être. Il a l’occasion de montrer les facultés intellectuelles
les plus rares, les plus diverses, les plus variées. Et quand il est un
Sainte-Beuve, un Taine, un J.-J. Weiss, un Jules Lemaître, un Ferdinand
Brunetière, il n’y manque pas. Sans sortir de lui-même, il fait
l’histoire intellectuelle de l’homme. La critique est la dernière en
date de toutes les formes littéraires; elle finira peut-être par les
absorber toutes. Elle convient admirablement à une société très
civilisée dont les souvenirs sont riches et les traditions déjà longues.
Elle est particulièrement appropriée à une humanité curieuse, savante et
polie. Pour prospérer, elle suppose plus de culture que n’en demandent
toutes les autres formes littéraires. Elle eut pour créateurs Montaigne,
Saint-Évremond, Bayle et Montesquieu. Elle procède à la fois de la
philosophie et de l’histoire. Il lui a fallu, pour se développer, une
époque d’absolue liberté intellectuelle. Elle remplace la théologie, et,
si l’on cherche le docteur universel, le saint Thomas d’Aquin du XIXe
siècle, n’est-ce pas à Sainte-Beuve qu’il faut songer?
C’était un saint homme de critique, je vénère sa mémoire. Mais, à vous
parler franchement, cher monsieur Hébrard, je crois qu’il est plus sage
de planter des choux que de faire des livres.
Il est des âmes livresques pour qui l’univers n’est qu’encre et que
papier. Celui dont une telle âme anime le corps apaisé passe sa vie
devant sa table de travail, sans souci des réalités dont il étudie
obstinément la représentation graphique. Il ne sait de la beauté des
femmes que ce qui en est écrit. Il ne connaît des travaux, des
souffrances et des espérances des hommes que ce qui peut en être cousu
sur nerfs et relié en maroquin. Il est monstrueux et innocent. Il n’a
jamais mis le nez à la fenêtre. Tel était le bonhomme Peignot, qui
recueillait les opinions des auteurs pour en faire des livres. Rien ne
l’avait jamais troublé. Il concevait les passions comme des sujets de
monographies curieuses et savait que les nations périssent en un certain
nombre de pages in-octavo. Jusqu’au jour de sa mort, il travailla d’une
ardeur égale, sans jamais rien comprendre. C’est pourquoi le travail ne
lui fut point amer. Il faut l’envier, si l’on ne peut qu’à ce prix
trouver la paix du coeur.
Bénissons les livres, si la vie peut couler au milieu d’eux en une
longue et douce enfance! Gustave Doré, qui imprimait quelquefois à ses
dessins les plus comiques je ne sais quel sentiment de fantaisie
profonde et de poésie bizarre, a donné un jour, sans trop le savoir,
l’emblème ironique et touchant de ces existences que le culte des livres
console de toutes les réalités douloureuses. Dans le moine Nestor, qui
écrivit une chronique en des temps barbares et troublés, il a symbolisé
toute la race des bibliomanes et des bibliographes. Son dessin n’est pas
plus grand que le creux de la main, mais qui l’a vu une fois ne peut
plus l’oublier. Vous le trouverez dans une suite de caricatures qu’il
publia lors de la guerre de Crimée, sous ce titre: _la Sainte Russie_,
et qui n’est pas, je dois le dire, la plus heureuse inspiration de son
talent et de son patriotisme.
Il faut voir ce Nestor. Il est dans sa cellule avec ses livres et ses
papiers. Assis comme un homme qui aime à s’asseoir, la tête enfoncée
dans son capuchon, le nez sur sa table, il écrit. Tout le pays alentour
est livré au massacre et à l’incendie. Les flèches obscurcissent l’air.
Le couvent même de Nestor est si furieusement assailli que des pans de
mur s’écroulent de toutes parts. Le bon moine écrit. Sa cellule,
épargnée par miracle, reste accrochée à un pignon comme une cage à une
fenêtre. Des archers s’entassent sur ce qui reste des toits, marchent
comme des mouches le long des murs et tombent comme la grêle sur le sol
hérissé de lances et d’épées. On se bat jusque dans sa cheminée; il
écrit. Une commotion terrible renverse son encrier; il écrit encore.
Voilà ce que c’est que de vivre dans les bouquins! Voilà le pouvoir des
paperasses!
Les bibliothèques abritent encore aujourd’hui quelques sages semblables
au moine Nestor. Ils y viennent accomplir le travail de patience qui
remplit leur vie et qui comble leur âme; ils ne manquent pas une séance,
même dans les jours de troubles et de révolution.
Ils sont heureux. N’en parlons plus. Mais j’en connais plusieurs, d’un
esprit fort différent. Ceux-ci cherchent dans les livres toutes sortes
de beaux secrets sur les hommes et les choses. Ils cherchent toujours et
leur esprit ne demeure jamais en repos. Si les livres apportent la paix
aux pacifiques, ils troublent les âmes inquiètes. Je sais, pour ma part,
beaucoup d’âmes inquiètes. Elles ont tort de se plonger dans trop de
lecture. Voyez, par exemple, ce qu’il advint à don Quichotte pour avoir
dévoré les quatre volumes d’_Amadis de Gaule_ et une douzaine d’autres
beaux romans. Ayant lu des récits enchanteurs, il crut aux
enchantements. Il crut que la vie était aussi belle que les contes, et
il fit mille folies qu’il n’aurait point faites, s’il n’avait pas eu
l’esprit de lire.
Un livre est, selon Littré, la réunion de plusieurs cahiers de pages
manuscrites ou imprimées. Cette définition ne me contente pas. Je
définirais le livre une oeuvre de sorcellerie d’où s’échappent toutes
sortes d’images qui troublent les esprits et changent les coeurs. Je
dirai mieux encore: le livre est un petit appareil magique qui nous
transporte au milieu des images du passé ou parmi des ombres
surnaturelles. Ceux qui lisent beaucoup de livres sont comme des
mangeurs de haschisch. Ils vivent dans un rêve. Le poison subtil qui
pénètre leur cerveau les rend insensibles au monde réel et les jette en
proie à des fantômes terribles ou charmants. Le livre est l’opium de
l’Occident. Il nous dévore. Un jour viendra où nous serons tous
bibliothécaires, et ce sera fini.
Aimons les livres comme l’amoureuse du poète aimait son mal. Aimons-les;
ils nous coûtent assez cher. Aimons-les; nous en mourons. Oui, les
livres nous tuent. Croyez-m’en, moi qui les adorai, moi qui me donnai
longtemps à eux sans réserve. Les livres nous tuent. Nous en avons trop
et de trop de sortes. Les hommes ont vécu de longs âges sans rien lire,
et c’est précisément le temps où ils firent les plus grandes choses et
les plus utiles, car c’est le temps où ils passèrent de la barbarie à la
civilisation. Pour être sans livres, ils n’étaient pas alors tout à fait
dénués de poésie et de morale; ils savaient par coeur des chansons et de
petits catéchismes. Dans leur enfance les vieilles femmes leur contaient
_Peau-d’Âne_ et le _Chat botté_, dont on a fait beaucoup plus tard des
éditions pour les bibliophiles. Les premiers livres furent de grosses
pierres, couvertes d’inscriptions en style administratif et religieux.
Il y a longtemps de cela. Quels effroyables progrès nous avons accompli
depuis lors! Les livres se sont multipliés d’une façon merveilleuse au
XVIe siècle et au XVIIIe. Aujourd’hui la production en est centuplée.
Voici qu’on publie, seulement à Paris, cinquante volumes par jour; sans
compter les journaux. C’est une orgie monstrueuse. Nous en sortirons
fous. La destinée de l’homme est de tomber successivement dans des excès
contraires. Au moyen âge, l’ignorance enfantait la peur. Il régnait
alors des maladies mentales que nous ne connaissons plus. Maintenant,
nous courons, par l’étude, à la paralysie générale. N’y aurait-il pas
plus de sagesse et d’élégance à garder la mesure?
Soyons des bibliophiles et lisons nos livres; mais ne les prenons point
de toutes mains; soyons délicat, choisissons, et, comme ce seigneur
d’une des comédies de Shakespeare, disons à notre libraire: «Je veux
qu’ils soient bien reliés et qu’ils parlent d’amour.»
Je ne me flatte pas que ce petit livre ait rien d’amoureux ni qu’il
mérite une belle reliure. Mais on y trouvera, vous le savez, cher
monsieur, une parfaite sincérité (le mensonge veut un talent que je n’ai
pas), beaucoup d’indulgence et quelque naturelle amitié pour le beau et
le bien.
C’est pourquoi j’ose vous l’offrir, cher monsieur, comme un trop faible
témoignage de gratitude, d’estime et de sympathie.
A.F.
Anatole France, La vida literaria, primera serie (París: Calmann-Lévy, 1888). [Prólogo-dedicatoria:]
Al Sr. Adrien Hébrard, Senador, director de Le Temps.
Estimado Sr.:
Permítame ofrecerle este librito; bien se lo debo, porque con toda seguridad, sin Vd., no existiría. En absoluto pensaba yo en hacer crítica en un periódico cuando me llamó Vd. a Le Temps. Me extrañó su elección, y aún me dura la sorpresa. ¿Cómo es que un espíritu alerta, activo, diverso como el de Vd., en comunión constante con todo y con todos, tan fuerte y vital, y siempre lanzado en medio de las cosas, ha podido apreciar un pensamiento recogido, lento y solitario como el mío?
Pero a Vd. nada le es ajeno, ni siquiera la meditación. Quienes le conocen en la intimidad aseguran que tiene Vd. algo de soñador. No se equivocan. Sólo que Vd. sueña muy deprisa. En todas las cosas posee usted en su grado más alto el genio de la prontitud. La facilidad con la que piensa Vd. es prodigiosa. Entiende Vd. todo de golpe. Su conversación, rápida y brillante como la luz, siempre me deslumbra. Y sin embargo siempre es razonable. Deslumbrar con la razón, eso es un don que sólo tiene Vd. ¡Qué escritor sería, si tuviese Vd. menos ideas! Una maga rusa, que vivió mucho tiempo en la India, habla en sus escritos de un procedimiento que emplean los sabios hindúes para comunicar su pensamiento a los profanos. A medida que se va formando en ellos mismos, lo precipitan en el cerebro de un santón que lo escribe a su gusto. Este procedimiento le convendría a Vd. Lástima que nuestro bárbaro Occidente ignore todavía la "precipitación" del pensamiento. Pero le conozco a Vd. Si un santón se pusiese a redactar las ideas precipitadas por Vd., iría Vd. enseguida a rogarle que no hiciese nada con ellas. Le gusta a Vd. permanecer inédito. Siendo hombre público, le horroriza parecerlo. Es una de las originalidades de Vd., y no la menos encantadora.
Creo que tiene Vd. un talismán. Hace Vd. lo que quiere. De mi ha hecho un escritor periódico y regular. Ha triunfado sobre mi pereza. Ha utilizado Vd. mis ensoñaciones y ha hecho acuñar mi espíritu. Por eso le tengo a Vd. por un economista incomparable. Haberme vuelto productivo, le aseguro que es maravilloso. Ni siquiera mi excelente amigo Calmann Lévy había conseguido hacerme escribir un solo libro desde hace seis años.
Tiene Vd. muy buen carácter y es Vd. fácil para vivir. No me reprocha nunca nada. No es que me vanaglorie de ello. Comprendió Vd. enseguida que no sirvo para mucho, y que más valía no atormentarme. Sin hacerme ilusiones, es la principal causa de la libertad que me deja Vd. en su periódico. Sabe Vd. que soy incorregible y no tiene esperanzas de hacer que me enmiende. No le dijo Vd. acaso un día a uno de nuestros amigos comunes,
--Es un benedictino burlón.
Uno se conoce mal a sí mismo, pero creo que la definición es buena. Me produzco bastante el efecto de un monje filósofo. Pertenezco de corazón a una abadía de Thélème, cuya regla es suave y de fácil obediencia. Quizá no haya allí mucha fe, pero sin duda son muy piadosos.
La indulgencia, la tolerancia, el respeto a sí mismo y a los otros son santos cuya fiesta aún guardamos allí. Si nos inclinamos hacia la duda, hay que tener en cuenta que el pirronismo es inseparable de un profundo apego a la costumbre y a los usos. Pues bien, la costumbre de la mayoría, es propiamente la moral. Nadie como un escéptico para ser moral y buen ciudadano. Un escéptico no se rebela nunca contra las leyes, porque no tiene esperanzas de que puedan hacerse otras buenas. Sabe que hay mucho que perdonarle a la República. ¿Quiere Vd., sin embargo, un consejo? No encomiende jamás el boletín político de Le Temps a uno de nuestros telemitas. Difundiría por él una melancolía suave que desanimaría a vuestros honrados lectores. Con filosofía no se apoyan los ministerios. En cuanto a mí, practico una modestia que me sienta bien, y me limito a la crítica.
Tal como la entiendo y me la deja practicar Vd., la crítica es, como la filosofía y la historia, una especie de novela para uso de los espíritus agudos y curiosos, y toda novela, correctamente entendida, es una autobiografía. El buen crítico es el que relata las aventuras de su alma entre las obras maestras.
No hay crítica objetiva, de la misma manera que no hay arte objetivo, y todos los que se precian de poner en su obra otra cosa que ellos mismos, son víctimas de la ilusión más falaz. La verdad es que uno no sale nunca de sí mismo. Es una de nuestras mayores desgracias. Qué no daríamos por ver durante un minuto el cielo y la tierra con el ojo compuesto de una mosca, o para comprender la naturaleza con el cerebro rudo y simple de un orangután? Pero eso lo tenemos completamente prohibido. No podemos, como hizo Tiresias, ser hombre y acordarnos de haber sido mujer. Estamos encerrados en nuestra persona como en un prisión perpetua. Lo mejor que podemos hacer, me parece, es reconocer con elegancia esta situación espantosa, y confesar que hablamos de nosotros mismos cada vez que no tenemos la fuerza de callarnos.
Para ser franco, el crítico debería decir:
–Señores, voy a hablar de mí mismo a propósito de Shakespeare, a propósito de Racine, o de Pascal, o de Goethe. Son una bonita ocasión para hacerlo.
Tuve el honor de conocer al Sr. Cuvillier-Fleury, que era un viejo crítico muy convencido. Un día en que lo fui a ver a su casita de la avenida Raphaël, me mostró la modesta biblioteca de la que se sentía orgulloso:
–Señor, me dijo; la elocuencia, bellas letras, filosofía, historia, todos los géneros están representados en ella, sin contar la crítica, que comprende a todos los demás géneros. Sí, señor: el crítico es sucesivamente orador, filósofo, historiador.
Tenía razón el Sr. Cuvillier-Fleury. El crítico es todo eso, o al menos puede serlo. Tiene la ocasión de mostrar las más raras facultades intelectuales, las más diversas, las más variadas. Y cuando es un Sainte-Beuve, un Taine, un J.-J. Weiss, un Jules Lemaîre, un Ferdinand Brunetière, no deja de hacerlo. Sin salir de sí mismo, escribe la historia intelectual del hombre. La crítica es la última en aparecer de todas las formas literarias: quizá termine por absorberlas a todas. Le conviene de forma admirable a una sociedad muy civilizada cuyos recuerdos son ricos y cuyas tradiciones son ya largas. Es particularmente apropiada para una humanidad curiosa, erudita y refinada. Para prosperar, requiere de más cultura que todas las otras formas literarias. Tuvo por creadores a Montaigne, Saint-Évremond, Bayle y Montesquieu. Procede a la vez de la filosofía y de la historia. Requirió, para desarrollarse, de una época de absoluta libertad intelectual. Reemplaza a la teología, y si se busca al Doctor universsal, al Santo Tomás de Aquino del siglo XIX, no es en Sainte-Beuve en quien debemos pensar?
Era un santo de la crítica, yo venero su memoria. Pero, por hablarle con franqueza, querido Sr. Hébrard, creo que es más sabio plantar coles que hacer libros.
Hay almas librescas para las que el universo no es más que tinta y papel. Quien ve su cuerpo apaciguado animado por un alma así, se pasa la vida ante su mesa de trabajo, sin preocuparse por las realidades cuya representación gráfica estudia obstinadamente. No sabe de la belleza de las mujeres más que lo que se escribe de ella. No conoce de los trabajos, los sufrimientos y las esperanzas de los hombres más que lo que puede coserse con nervios y encuadernarse en marroquín. Es monstruoso e inocente. Nunca ha asomado la nariz por la ventana. Así era aquel buen tipo Peignot, que recogía las opiniones de los autores para hacer libros con ellas. Nada le había turbado jamás. Concebía las pasiones como temas de monografías curiosas y sabía que las naciones perecen en un cierto número de páginas in-octavo. Hasta el día de su muerte, trabajó con ardor constante, sin entender nunca nada. Por eso el trabajo no le resultó en absoluto amargo. Hay que envidiarlo, si es que la paz de espíritu sólo puede alcanzarse a ese precio.
Bendigamos los libros, si la vida puede fluir entre ellos en una infancia larga y feliz! Gustave Doré, que imprimía a veces a sus dibujos más cómicos un cierto sentimiento de fantasía profunda y de extraña poesía, proporcionó un día, quizá sin saberlo, el emblema irónico y conmovedor de estas existencias a las que el culto de los libros consuela de todas las realidades dolorosas. En el monje Nestor, que escribió una crónica en tiempos bárbaros y revueltos, simbolizó a toda la raza de los bibliómanos y los bibliógrafos. Su dibujo no es mayor que la palma de la mano, pero quien lo ha visto una vez ya no puede olvidarlo. Lo encontrará Vd. en una serie de caricaturas que publicó cuando la guerra de Crimea, bajo este título: La santa Rusia, y que no es, he de reconocerlo, la inspiración más feliz de su talento y de su patriotismo.
Hay que ver a este Nestor. Está en su celda con sus libros y papeles. Sentado como un hombre que gusta de estar sentado, con la cabeza hundida en su capuchón, y la nariz en la mesa, escribe. Todo el país a su alrededor está entregado a la masacre y al incendio. Las flechas oscurecen el aire. El convento mismo de Nestor es tan furiosamente asaltado que se derrumban trozos de paredes por todas partes. El buen monje escribe. Su celda, milagrosamente intacta, permanece enganchada en un aguilón, como una jaula en una ventana. Se agolpan arqueros sobre lo que queda de los techos, andan como moscas por las paredes y caen como granizo sobre el suielo erizado de lanzas y espadas. Se pelean hasta en su chimenea; él escribe. Una conmoción terrible vuelca su tintero; sigue escribiendo. ¡Eso es vivir en los libracos! ¡Tal es el poder de los papelajos!
Las bibliotecas de hoy todavía acogen a algunos sabios semejantes al monje Nestor. Vienen a ellas a cumplir el trabajo de paciencia que llena su vida y que colma su alma: no se pierden una sesión, ni siquiera en los días de agitaciones y de revolución.
Son felices. Dejémolos. Pero conozco a varios que tienen un humor harto diferente. Estos buscan en los libros todo tipo de hermosos secretos sobre los hombres y las cosas. Siempre buscan y su espíritu jamás permanece quieto. Si los libros traen la paz a los pacíficos, turban a las almas inquietas. Estas cometen un error al sumergirse en un exceso de lecturas. Vea, por ejemplo, lo que le sucedió a Don Quijote por haber devorado los cuatro volúmenes de Amadís de Gaula y otra docena de bonitas novelas. Habiendo leído los encantadores relatos, creyó en los encantamientos. Creyó que la vida era tan bonita como los cuentos, e hizo mil locuras que en absoluto habría hecho si no hubiese tenido espíritu lector.
Un libro es, según Littré, el ensamblaje de varios cuadernos de páginas manuscritas o impresas. Esta definición no me contenta. Yo definiría el libro como una obra de hechicería de la cual escapan todo tipo de imágenes que turban los espíritus y cambian los corazones. O mejor aún: el libro es un aparatito mágico que nos transporta al meollo escenas del pasado, o entre sombras sobrenaturales. Quienes leen muchos libros son como los comedores de hachís. Viven en un sueño. El veneno sutil que penetra en su cerebro los vuelve insensibles al mundo real y los hace víctimas de fantasmas terribles o encantadores. El libro es el opio de Occidente. Nos devora. Llegará el día en que todos seamos bibliotecarios, y será el fin.
Amemos los libros como la enamorada del poeta amaba su mal. Amémolos: bastante caros nos cuestan. Amémolos: por ellos morimos. Sí, los libros nos matan. Créame, pues yo los adoré, me entregué a ellos sin reserva durante mucho tiemo. Los libros nos matan. Los hombres han vivido largas eras sin leer nada, y es entonces precisamente cuando hicieron las cosas mayores y más útiles, pues en ese tiempo pasaron de la barbarie a la civilización. Para estar sin libros, no es que estuviesen totalmente desprovistos de poesía y de moral; sabían de memoria canciones y pequeños catecismos. En su infancia las viejas les contaban Piel de Asno y El gato con botas, que mucho más tarde se editaron en ediciones para bibliófilos. Los primeros libros fueron gruesas piedras, cubiertas de inscripciones en un estilo administrativo y religioso.
De eso hace mucho tiempo. ¡Qué espantosos progresos hemos llevado a cabo desde entonces! Los libros se multiplicaron manera maravillosa en el siglo XVI y en el XVIII. Hoy se ha multiplicado por cien su producción. Ahora se publican, sólo en París, cincuenta volúmenes al día, sin contar los periódicos. Es una orgía monstruosa. Saldremos locos de ella. El destino del hombre es caer sucesivamente en excesos contrarios. En la Edad Media, la ignorancia daba a luz al miedo. Reinaban entonces enfermedades mentales que ya no conocemos. Ahora, corremos, por vía del estudio, a la parálisis general. ¿No sería más sabio, y más elegante, mantener una justa medida?
Seamos bibliófilos y leamos nuestros libros, pero no los cojamos a manos llenas. Seamos exquisitos: escojamos, y como ese gentilhombre de una de las comedias de Shakespeare, digamos a nuestro librero: "Quiero que estén bien encuadernados y que hablen de amor".
No me hago ilusiones de que este librito tenga nada de amoroso, ni de que merezca una bonita encuadernación. Pero se encontrará en él, lo sabe Vd., estimado señor, una sinceridad perfecta (la mentira requiere un talento del que carezco), mucha indulgencia y cierta amistad natural hacia lo bello y lo bueno.
Por eso me atrevo a ofrecérselo a Vd., como un testimonio, demasiado endeble, de gratitud, de aprecio y de simpatía.
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